lundi 3 décembre 2012

ITU et le CMTI-12 : des nouveaux sigles pour s'occuper de la censure d'Internet

Il est difficile de passer quelques mois à peu près informé sans voir un nouveau sigle imprononçable venir agir de manière innommable contre Internet. A celui-ci, une réponse avisée s'avère souvent être GTFO ("Get The Fuck Out" : "casse-toi !").

Mise en bouche

Posons les choses simplement. Aujourd'hui, Internet est une source d'information, d'enseignement, d'innovation, de création de richesse, de changement sociétal et pas simplement de divertissement. Tout aussi simplement, la liberté d'expression dérange, on peut penser au subversif WikiLeaks mais plus proche de nous en France, on peut penser à l'affaire Jean Sarkozy où le buzz a finalement permis d'empêcher l'accession du fils du président à la tête d'une entité publique. Il est facile de censurer la presse en France tant tout dépend du politique et les groupes de presse majeurs sont peu nombreux, c'est plus dur avec Internet ; car Internet c'est vous, c'est moi, c'est nous pour le meilleur et pour le pire.

Bien sûr, officiellement, seuls quelques pays affichent une position ouverte de censure, les pays occidentaux remercient les terroristes et les pédophiles. L'Australie est un bon exemple sur le sujet, de nombreuses mesures mises en place contre les pédophiles se retrouvent finalement utilisées à d'autres fins. Deux tiers des sites censurés sont sans lien avec la pédophilie. Plus récemment les USA ont bafoué leurs lois pour mettre Megaupload à terre, quelques mois plus tard une étude explique que : "non, les revenus du cinéma ne s'en portent pas mieux". Chez nous français, Sarkozy a déjà déclaré qu'il voulait voir internet sous le contrôle de l'état (citation exacte appréciée), en 8 ans l'accès internet a augmenté de plus de 10 €, Hollande ne fait pas mieux, ses propos sur la fin d'HADOPI sont restés de veines paroles.

ITU CMTI-12 ! WTF ? GTFO ?

Passons donc à notre sigle du jour, ITU. L'ITU (International Telecommunication Union) est une organisation dépendant de l'ONU qui historiquement s'occupait des télégraphes, avec le temps, elle est passée au domaine des télécommunications. Ceci lui a évité à la fois l'obsolescence et le changement de sigle. Cette organisation se préoccupait jusqu'à aujourd'hui de thématiques assez ennuyeuses : des normes, mais aussi, plus sexy, de favoriser l'accès à Internet dans le monde.

2012, cette organisation se réunit à Dubaï pour une conférence CMTI-12 (12 étant le millésime). Quand on m'a dit qu'il y avait un problème je suis aller m'informer sur le site de l'ITU où, globalement, tout est mignon tout plein, je ne sais pas qui écrit les textes, mais c'est clair qu'à première lecture ils ont l'air SYM-PA.

Donc me voilà parti à creuser un peu, l'information m'étant parvenue par le biais de Contrepoints je finis par suivre un des liens qui m'a été envoyé pour finalement regarder la vidéo présente vers le bas du site de l'Internet Coup (sous-titrage en français disponible). L'ITU va tenter de faire valider à la CMTI-12 une extension de son domaine de compétences pour imposer des obligations entre les Etats membres sur le fonctionnement d'Internet et sa réglementation.

Internet n'a pas besoin d'une autorité centrale, il a été conçu pour celà.

Internet n'est à la base qu'un protocole qui a abouti à la mise en place de réseau de réseaux sans avoir besoin d'un chef d'orchestre au milieu. C'est un réseau décentralisé (autre article intéressant si le terme ne vous parle pas), il n'a donc pas besoin d'autorité centrale. S'il n'y a pas d'autorité centrale, il devient donc très difficile d'imposer des choses sur Internet : de la censure, des taxes ou encore de l'espionnage de vos communications.

L'ONU à la suite de la SDN a été créé pour être un lieu de discussion entre nations. Aujourd'hui pour réguler la finance, pour réguler Internet, des gens en font un super Etat mondial. Nous, individus, ne saurons que souffrir d'une gouvernance mondiale à laquelle aucun territoire ne nous permettra d'échapper. La gouvernance mondiale est une chose mauvaise.

Mettre une autorité centrale qui peut réglementer Internet c'est ouvrir des portes sur :
  • La fin de l'anonymat (déjà proposée en France par Nadine Morano et, avant elle, Jean-Louis Masson)
  • La non neutralité des réseaux (déjà mise en place par certains FAI en France et fortement appuyée par France Telecom Orange, elle pourrait devenir la norme)
  • La taxation des e-mails (déjà proposée à l'échelle européenne par Alain Lamassoure)
  • La censure (déjà pratiquée par la plupart des pays, y compris les pays occidentaux, le contrôle de la pensée n'est pas l'apanage des dictatures d'Amérique du Sud, d'Asie ou des théocraties musulmanes)
  • L'espionnage de vos communications (la présence de proxy à l'étranger permet déjà à beaucoup de jouer sur la non-coopération entre Etats pour naviguer de manière un peu plus tranquille).

Un peu de contenu concret

Je n'aime pas demander aux gens de me croire sur parole, c'est pourquoi au début j'avais du mal à m'imaginer en train d'écrire un article sur du vent ou sur la simple confiance dans les nombreuses associations de défense du net.

Vous pouvez trouver le projet de réglement de l'ITU qui sera discuté à la CMTI-12 sur cette page (ainsi que quelques unes des réponses qui y ont été formulées).

88 pages, sans lien qui fonctionnent à l'intérieur, c'est long, c'est chiant.

Page 22, évolution 29, en particulier CWG/4/116 : on ne parle plus d'administrations, mais d'exploitants, ceci pour introduire comme principe de base la "facturation au départ". Par exemple, on demandera à YouTube de payer les différents fournisseurs d'accès pour que vous ayez accès à une vidéo qui ne rame pas. C'est la fin de la neutralité du net, et, bien que Google, très noblement, s'oppose à celà, c'est la meilleure garantie pour voir la fin de l'émergence de nouveaux acteurs sur Internet, et, potentiellement, la fin de la gratuité. On note également l'introduction d'une dimension politique dans ce qui est attendu des Etats membres. Bien qu'étant libéral, je vous fais remarquer que l'idée que c'est aux administrations de fournir des infrastructures est totalement effacée. Ceci me semble aussi prématuré que de privatiser les routes dans des pays où il n'y a qu'une seule assurance santé centralisée.

Page 23, évolution 30 : les Etats demandent une tracabilité de l'acheminement des données sous un prétexte de sécurité et de lutte contre la fraude.

page 24, évolution 30 : la neutralité est affirmée du point de vue des usagers. En gros, on ne traitera pas Paul de manière différente à Jacques. Mais ceci ne changera rien, on traitera les usagers différemment de fait car ils iront sur des sites différents à qui on demandera de payer pour l'acheminement de leurs données.

page 24 à 28, évolution 31* : les états ont les contrôles des moyens de communications utilisés sur leur territoire. Selon moi, cet article pourrait conduire à exiger que les état collaborent entre eux pour s'assurer un "droit de censure" sur leur territoire.

page 32, évolution 35, CWG/4/73 : la porte ouverte est laissée pour interdire l'accès à des personnes au réseau sous prétexte de "risque pour le matériel ou les personnes". Dans le cas de WikiLeaks, on pourrait arguer que leur révélations présentent des risques et donc simplement les débrancher du réseaux.

Vous seriez étonnés du nombre de pages (32 à 39 environ) de blabla écrites pour être de simples déclaration de bonnes intentions.

Page 39 à 42, évolution 41D : dispositions relatives à la cybercriminalité, la cybercriminalité ayant un sens très large, on peut craindre des usages inappropriés.

Page 43 à 56, article 6 : les dispositions de taxations internationales sont fixées par le réglement, peu d'impact sur la liberté d'expression, mais, est-ce nécessaire d'avoir une seule règle dans le monde entier ?

Page 56, article 7 (inchangé mais intéressant) : droit est reconnu "de facto" aux Etats de suspendre leurs télécommunications. Jugez celà comme bon vous semble à la lumière de ce qui se passe en Chine, Iran, Syrie et Egypte.

page 62, évolution 63 : les Etats membres n'ont plus de droit de réserve possible.

Votre mission pour aujourd'hui et pour demain

Pour aujourd'hui, ce sont les Etat qui votent. Parlez (ou écrivez) à votre ministre, à votre député, à votre président. Par principe, c'est important que nous nous opposions à ce surplus de réglementation qui nous étouffe tous les jours. Sur ce cas particulier, ce texte vient directement instaurer la non neutralité des réseaux, c'est mauvais.

Pour demain, l'IDL Internet Defense League vous informe à travers ses Cat Signal, c'est l'équivalent de cette chauve souris projetée dans le ciel pour appeler Batman, à part que cette fois le super héros c'est vous ! Ces petits sigles assassins n'en sont pas à leur première tentative ni à leur dernière.

Illustration 1 trouvée ici
Illustration 2 prise sur le site de l'IDL
Toutes reproductions et traductions sont autorisées en CC BY-SA 3.0


7 commentaires:

  1. Votre présentation d'Internet comme un tout sans centre est sympathique.

    Mais la réalité est qu'Internet est américain, que son centre est en Californie.

    Une chance pour nous qui pouvons ainsi, enfin, bénéficier pleinement, nous, les gens de l'Union Européenne, d'une chose à laquelle nous n'avons jamais eu droit, le Premier Amendement de la Constitution des USA.

    Bon, d'accord, les lois liberticides des bureaucraties nationales s'appliquent quand même sur Internet, en Chine mais aussi en France. Mais les limitations à la liberté d'expression deviennent de plus en plus difficile à appliquer.

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  2. C'est tout simplement faux, puis-je savoir quel serait le "centre" d'internet est en Californie ? La seule chose que les américains contrôle un tant soit peu plus que les autres sont les serveurs DNS, mais comme le montre la carte présente sur Wikipedia, c'est très un contrôle très relatif http://fr.wikipedia.org/wiki/Serveur_racine_du_DNS

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  3. Par ailleurs : Internet permet de bypasser ces DNS historiques assez facilement comme en témoigne le projet http://useopennic.org/

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  4. Oui, certes, mais il faut être réaliste. Internet a bien été fait par les USA. Et les serveurs DNS sont bien au centre de la toile.

    On peut les dépasser, mais évidemment, http://sulfureetcontreculture.blogspot.fr ne l'a pas fait...

    Il est certainement plus intéressant, dans la problématique que vous développez avec l'article en référence,
    http://sulfureetcontreculture.blogspot.fr/2011/06/internet-les-systemes-distribues-le.html
    de bien comprendre que le Minitel et Internet sont fondamentalement des projets po-li-ti-ques.

    D'ailleurs je l'ai déjà dit ici, je crois, un livre reste à écrire sur la manière dont les Européens, qui avaient pratiquement inventé Internet, et qui avaient les moyens humains, techniques et financier de l'offrir au monde, l'ont abandonné au profit des Américains pour favoriser des modèles type Minitel aux profit de leurs monopoles bureaucratiques nationaux.

    C'est toute la différence qu'il y a entre l'impasse de l'analyse idéologique "libérale" et l'analyse en termes de cette théorie pragmatique de la gouvernance politiques qu'est la démocratie.

    Et en attendant, l'ONU peut toujours courir et bureaucratiser, surtout avec ses membres les plus anti-démocratique, les USA ne leur laissera jamais le contrôle d'Internet, en particulier les serveurs DNS.

    Heureusement pour nous, partisans de la liberté et de la démocratie.

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  5. La carte à puce a été inventée par un français, les français n'ont cependant pas le contrôle des transactions faites avec. Origine ne signifie pas contrôle.

    Les serveurs DNS sont une des parties du problèmes et ne sont pas sous contrôle total des USAs.

    Je pense que vous vous projetez trop en matière en matière de jeu géopolitique au sens où, selon moi, Internet a dépassé ce jeu. Il n'y a pas d'Etat sur Internet mais principalement des individus, des entreprises et des communautés.

    Pour revenir sur le point soulevé, je ne sais pas quel pouvoir à concrètement l'ONU sur des USA réticents.

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  6. Comparer Internet à la carte à puce, quand même, siouplait... :)

    Concernant votre troisième paragraphe, je crois au contraire qu'une analyse strictement politique dit que la manière dont l'Etat US est présent sur Internet est très exactement à l'image de la conception de la présence de l'Etat US auprès de ses citoyens et donc de ses individus, de ses entreprises et de ses communautés.

    Conception qui fut révolutionnaire à l'aube du 19ème siècle, et qui le reste encore aujourd'hui.

    Concernant l'ONU, je n'ai pâs de lien, mais la dernière chose que j'en ai lu, c'est qu'elle réclame plus ou moins aux USA le contrôle des serveurs DNS. Dans leurs rêves.

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  7. La comparaison était là pour vous montrer la fausseté de votre raisonnement. L'Etat US n'est pas très présent sur Internet de mon point de vue, ce ne sont pas ses contenus, ses idées, ou que ce soit qu'il contrôle.

    Pour l'ONU, c'est une question géopolitique intéressante, à creuser !

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