dimanche 25 avril 2010

Frédéric Bastiat - La Loi

Dans les discussions traditionnelles de libéraux, si Hayek ou Bastiat es sont pas apparu au bout de 10 minutes, c'est que l'on a déjà parlé plusieurs fois de von Mises... Une fois ce constat fait, il est manifeste qu'au bout de 10 minutes, il me prenait une légère envie de partir faire un bridge puisque côté background culturel j'étais comme un bolchevik à une réunion de micro-économistes.

Ni tenant plus, je me suis procuré un exemplaire du très célèbre La Loi de Frédéric Bastiat (le texte est disponible sur Bastiat.org). L'ouvrage m'a donc été expédié par Amazon, petite anecdote intéressante : la publicité inclue dans le colis était destinée à des Britanniques ; dans la série "je vis chez les gauchistes", je vous invite à regarder les bandes annonces d'Iron Man 2 VO sur Allociné et YouTube, vous constaterez que le passage où Stark se retourne et déclare avoir privatisé avec succès la paix mondiale a été coupé pour pas choquer les français... Ça m'a fait pisser de rire.

Revenons au livre : Bastiat mène sa réflexion comme Sarkozy enterre ses réformes libérales, avec brio. C'est assez intéressant de constater que les symptômes sont les mêmes depuis plus de 150 ans, le socialisme également, les arguments libéraux également. Arrivé à ce point, pour les non-libéraux, il est temps d'élargir la définition du socialisme à travers un petit extrait :

«Avant d'aller plus loin, je crois devoir m'expliquer sur le mot Spoliation.

Je ne le prends pas, ainsi qu'on le fait trop souvent, dans une acception vague, indéterminée, approximative, métaphorique: je m'en sers au sens tout à fait scientifique, et comme exprimant l'idée opposée à celle de la Propriété. Quand une portion de richesses passe de celui qui l'a acquise, sans son consentement et sans compensation, à celui qui ne l'a pas créée, que ce soit par force ou par ruse, je dis qu'il y a atteinte à la Propriété, qu'il y a Spoliation. Je dis que c'est là justement ce que la Loi devrait réprimer partout et toujours. Que si la Loi accomplit elle-même l'acte qu'elle devrait réprimer, je dis qu'il n'y a pas moins Spoliation, et même, socialement parlant, avec circonstance aggravante. Seulement, en ce cas [celui de la spoliation légale/du socialisme], ce n'est pas celui qui profite de la Spoliation qui en est responsable, c'est la Loi, c'est le législateur, c'est la société, et c'est ce qui en fait le danger politique.»

Ainsi Bastiat évoque les arguments fondamentaux que l'on peut opposer à l'interventionnisme :

  • Il suppose une autre mission à l'état que le maintient dans un respect de la liberté d'autrui, cette mission vient nécessairement compromettre la première notion de liberté ;
  • Il suppose l'existence d'un régulateur au-delà de l'individu, qui peut-il bien être si ce n'est un autre individu ? Quand bien même l'individu existerait, comment l'identifier et créer un mécanisme l'amenant au pouvoir ?
  • Il suppose que ce régulateur soit infaillible, la vie de ses concitoyens n'est pas là pour assouvir ses petits besoins de test.
L'argumentaire est bien construit et détaillé, j'apprécie également la taille plutôt réduite du bouquin. C'est un peu l'opposé de Flaubert sur le plan littéraire si vous vous voulez.

Il est étonnant de voir par quel sujet Bastiat approche le problème... Bastiat par du débat de son époque : le suffrage universel. Bastiat suppose que si l'on s'entendait que l'état ne pouvait être philanthropique la question du suffrage universel ne se poserait puisqu'il n'y aurait pas d'intérêts corporatistes à défendre.

J'aurais néanmoins quelques remarques négatives à faire :
  • Certes le texte est simple à comprendre, mais d'un style un peu old school, il demanderait à être quelque peu rafraichit pour pouvoir être lu par le plus grand nombre, j'aurais bien aimé pouvoir en donner un exemplaire à un collégien sans qu'il ne s'en serve pour rouler son prochain pétard. Les idées, ça devrait pouvoir frapper à votre porte et entrer, il n'y a pas de raison qu'elles aient un besoin d'être pédantes.
  • Bastiat s'attelle à la tâche d'exposer ses idées, de développer un argumentaire visant à convaincre le lecteur de la véracité de ses propos ; ainsi en tant que lecteur j'espère trouver un raisonnement carré et des prémisses logiques... Dans ce cas pourquoi dois-je trouver toutes les quinze pages une mention à Dieu (himself) ? "Pourquoi l'homme devrait-il être libre ?" "Parce que c'est Jésus qui l'a dit"... faudra quand même veiller à considérer que Dieu dans la plupart des religions a autant de considération pour l'homme qu'un gamin pour un playmobil bancal dont il aurait arraché une côte pour lui faire un petit copain.
  • L'ouvrage conclut sur une petite note guillerette décidant que si le monde ne tourne pas comme l'a décidé l'auteur, les crises le pousseront à y arriver de toute façon, parce que telle est la nature des choses... Allons, allons, ce n'est décemment pas réaliste, et un tel raisonnement conditionne la mollesse. Si le monde ne fonctionne pas comme vous voulez, vous faire une bulle en vous disant que les méchants seront punis et que vous vous vengerez au paradis, c'est une misérable échappatoire. Ici l'auteur considère que les êtres se constatant spoliés comprendront bien qu'il va dans leur intérêt de cesser de vivre tous au dépend de tous... Ceci présuppose un accès direct et complet à l'information du très célèbre : "Qui baise qui ?", or qui peut me dire à qui profite le crime ? La CGT pense que c'est aux patrons, le FN à l'UMP, l'UMP aux parasites sociaux, ... Bref c'est le bordel, et rien n'indique que l'homme avance dans la bonne direction, trêve de consolations.
Même si je mets en emphase cette note négative, l'ouvrage est sans conteste un "must read" en terme de philosophie et de politique, peut importe le bord à mon sens (et oui, pour répondre aux interrogations : j'ai prévu de lire Le Capital avant ma mort).


15 commentaires:

  1. Salut AsTeR,
    oui La loi est un grand livre. On y trouve une critique en règle du socialisme que je trouve admirable, et qui rejoins celle que l'on trouve - en plus fouillé - chez Hayek. Mais avec 100 ans d'avance !

    La référence à Dieu peut être énervante, mais on peut aussi la comprendre comme une référence à ce qui dépasse l'entendement humain, à la nature (conception spinoziste de dieu - Dieu ou la nature), et ne fait alors qu'une sorte de redirection vers les "droits naturels". Rien de choquant à mes yeux.

    à bientôt

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  2. Decidemment toujours d'actualite ce Bastiat !

    http://leparisienliberal.blogspot.com/2010/04/conseil-de-lecture-frederic-bastiat.html

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  3. @Libertas @Le Parisien Liberal : on ne lira jamais assez Bastiat.

    @Lomig : c'est exactement la réflexion que je me suis fait, j'aurais également tendance à dire que pour l'époque ne pas mentionné Dieu n'était peut être pas culturellement courant. C'est un point que j'aurais aimé voir développer, évoquer la liberté comme un droit naturel me semble être un refuge rhétorique, ceci aurait mérité un développement.

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  4. Salut. Je trouve moi-meme qu'il y a d'autres problemes fondamentaux avec ce livre. Autres que Dieu. La nation, et aussi, le passage quand meme crucial: l'alternative 'cruelle' du citoyen entre le respect de la loi et le fait de garder son sense de la moralite. Evidemment il n'y a aucune alternative, et dans un bouquin theorique comme ca je suis etonne que la 'Loi' ne soit pas plus vigoureusement attaquee.

    Finalement, c'est peut-etre pas etonnant que si peu de choses aient change. Bastiat est lui-meme un nationaliste et un supporteur du parlement; apres avoir soutenu ces idees-la, ca ne peut que pourrir.

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  5. La nation, contrairement à la notion de Dieu, n'est pas utilisée comme prémisse à la réflexion. Dans l'ouvrage de Bastiat, Dieu est la source de la liberté, la source de tout le reste de l'oeuvre. Du coup, la réflexion reposent sur des fondations qui me paraissent éphémères.

    Quand au citoyen, j'ai mal compris ta formulation... Souhaites-tu dire que sur un plan philosophique il n'y a pas deux choix, mais un seul qui s'impose ? Ou alors qu'il y a plus que ces deux seules alternatives ?

    N'est-ce pas manichéen de n'envisager que deux alternatives à ton tour ? Bastiat n'était pas nationaliste, pour preuve la pétition des marchands de chandelles. Pour ce qui est de supporter le gouvernement, la démocratie n'est qu'une modalité, au fond à l'origine de l'homme c'est l'anarchie, Staline n'est apparu que comme la résultante de l'anarchie... Ainsi pour que l'anarchie soit une alternative viable, c'est l'homme qu'il faut changer, c'est un changement plus fondamentale qu'une simple révolution.

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  6. La nation est une prémisse nécessaire à l'état, sinon il faut laisser les non-consentants s'en séparer, et l'état s'écroule.
    Je ne faisais que citer Bastiat: "Quand la Loi et la Morale sont en contradiction, le citoyen se trouve dans la cruelle alternative ou de perdre la notion de Morale ou de perdre le respect de la Loi, deux malheurs aussi grands l'un que l'autre et entre lesquels il est difficile de choisir." La 'Loi' est une création artificielle d'hommes politiques, il n'existe pas d'alternative cruelle donc, à moins que Bastiat ne prenne la Loi pour plus que ce qu'elle est.
    On n'est pas nationaliste parce qu'on refuse les tarifs, on est nationaliste parce qu'on pense qu'il existe une nation à laquelle tous les habitants d'un territoire donné y sont liés par une sorte de destinée mythique.
    C'est l'état qui demande l'existence de surhommes au-delà de tout soupçon et de toutes tentations. Ce sont les hommes politiques dont on découvre jour après jour les dépravations. Les gens me paraissent en grande majorité parfaitement décents. C'est donc tout le contraire.

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  7. La nation n'est pas nécessairement une prémisse de l'état, c'est une notion de valeur un peu conservatrice d'ailleurs. De la même manière, la notion de Loi n'est pas un mysticisme de politicien, elle a une valeur quelque peu plus noble, elle s'apparente à des clauses d'un contrat.

    Bastiat partage ton point de vue sur les "surhommes", cependant je ne sais pas où tu a croisé des gens "parfaitement décents", ... je veux bien leur adresse, ils me paraissent aussi rare en politique qu'ailleurs.

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  8. Une notion de valeurs? Tu peux élaborer? La nation est une invention des monarques cinglés, reprise par les républicains écervelés, pour supprimer la dissidence. La nation est l'ensemble des personnes désignées par l'état en tant que ses sujets.

    Notons une différence: la "Loi," en tant que législation, est écrite par des hommes politiques. Ces personnes n'ont aucune autorité de violer des règles élémentaires de moralité. L'autre loi, la notion éternelle, découle directement de cette même moralité, et ne pourrait donc en aucun cas être mise en opposition avec la moralité.

    Je pense que citer Spooner est ici approprié:
    "Les législateurs, comme ils s'appellent, ne peuvent rien y ajouter, ni rien en retrancher. Donc, toutes les lois, comme ils les appellent, – c'est-à-dire, toutes les lois qu'ils ont créées, – n'ont pas la moindre autorité, ni aucune obligation. C'est un mensonge de les appeler lois; car il n'y a rien en elles qui ne crée les droits ou les devoirs des hommes, ou les instruit sur leurs droits ou leurs devoirs. Il n'y a par conséquent rien de contraignant ou d'obligatoire en elles. Et personne n'est forcé d'y porter la moindre attention, hormis pour les piétiner, comme des usurpations. Si elles ordonnent aux hommes de faire justice, elles n'ajoutent rien à l'obligation des hommes de la faire, ou au droit de tout homme de la faire appliquer. Elles sont donc comme le vent, comme le seraient des ordres de penser que le jour est jour, et que la nuit est nuit. Si elles ordonnent ou permettent à tout homme de faire injustice, elles sont criminelles, noir sur blanc. Si elles ordonnent à tout homme de faire quoi que ce soit que la justice ne demande pas de lui, elles sont de simples et évidentes usurpations et des tyrannies. Si elles interdisent à tout homme de faire quoi que ce soit, que la justice lui permettrait de faire, elles sont des invasions criminelles de sa liberté naturelle et légitime. Quelque soit la perspective que l'on adopte, donc, elles sont entièrement dépourvues de tout ce qui ressemble à de l'autorité et de l'obligation. Elles sont toutes nécessairement soit les usurpations impudentes, fausses, et criminelles des tyrans, des voleurs et des meurtriers, soit le travail d'hommes ignorants ou inconscients, qui ne savent pas, ou certainement ne se rendent pas compte de ce qu'ils font."

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  9. "Les législateurs, comme ils s'appellent, ne peuvent rien y ajouter, ni rien en retrancher. Donc, toutes les lois, comme ils les appellent, – c'est-à-dire, toutes les lois qu'ils ont créées, – n'ont pas la moindre autorité, ni aucune obligation. C'est un mensonge de les appeler lois; car il n'y a rien en elles qui ne crée les droits ou les devoirs des hommes, ou les instruit sur leurs droits ou leurs devoirs. Il n'y a par conséquent rien de contraignant ou d'obligatoire en elles. Et personne n'est forcé d'y porter la moindre attention, hormis pour les piétiner, comme des usurpations. Si elles ordonnent aux hommes de faire justice, elles n'ajoutent rien à l'obligation des hommes de la faire, ou au droit de tout homme de la faire appliquer. Elles sont donc comme le vent, comme le seraient des ordres de penser que le jour est jour, et que la nuit est nuit. Si elles ordonnent ou permettent à tout homme de faire injustice, elles sont criminelles, noir sur blanc. Si elles ordonnent à tout homme de faire quoi que ce soit que la justice ne demande pas de lui, elles sont de simples et évidentes usurpations et des tyrannies. Si elles interdisent à tout homme de faire quoi que ce soit, que la justice lui permettrait de faire, elles sont des invasions criminelles de sa liberté naturelle et légitime. Quelque soit la perspective que l'on adopte, donc, elles sont entièrement dépourvues de tout ce qui ressemble à de l'autorité et de l'obligation. Elles sont toutes nécessairement soit les usurpations impudentes, fausses, et criminelles des tyrans, des voleurs et des meurtriers, soit le travail d'hommes ignorants ou inconscients, qui ne savent pas, ou certainement ne se rendent pas compte de ce qu'ils font." Lysander Spooner

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  10. Pour les raisons qui sont expliquées ci-dessus par Spooner, il n'y a aucune alternative cruelle pour le citoyen. La Loi en tant que notion découle directement de la moralité, la loi en tant que législation est une usurpation ou un crime ou du vent.

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  11. Tout d'abord merci pour ce texte de Spooner, je ne connaissais pas le personnage. Sa critique de la loi est philosophiquement très intéressante, ça mériterait une analyse plus profonde mais je pense que je la partage... La seule limite que je mettrais à celle-ci, c'est la légère omission de la coercition...

    Piétiner les lois, ça reste assez théorique les mains vides de toute arme de destruction massive face à une compagnie de CRS dont le QI doit atteindre celui d'une huitre (pour le groupe entier j'entends).

    Je trouve que vous blâmer Bastiat pour un sujet qu'il n'a pas traité : la légitimité de la Loi. Il en critiquait ses perversions les plus fréquentes.

    Sinon, je ne sais pas si vous êtes parisien, mais il y a une république des blogs dans Paris, j'y serais si vous souhaitez développer la discussion en physique.

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  12. ... et il manque un "s" à parisiens

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  13. Je suis à Calais donc le voyage aller-retour à Paris a un coût franchement prohibitif. Et je suis pas un amateur de l'auto-stop.

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  14. J'ai compris après coup que tu étais juste sous le coup d'une schizophrénie ;) Calais ça fait un peu loin pour prendre un verre hein !

    Question bête que symbolise ce drapeau noir et orange ? T'es entre l'anarcho capitalisme et l'anarcho communisme ?

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